Eclairage d'Aurélien Sonet, DG de Pluxee, et de Jean-Baptiste Barfety, expert des transformations de l'entreprise.

Si de nombreux travaux ont présenté le désengagement français comme étant l’un des plus importants en Europe, une étude* réalisée par Ipsos pour Pluxee, dévoilée mardi 18 novembre 2025, tempère ce constat. « Les chiffres montrent que les salariés français apprécient leur travail et restent investis, voire très investis. C’est simplement que cet engagement prend de nouvelles formes. Les entreprises doivent comprendre ce changement afin de ne pas tomber dans la caricature binaire du salarié qui serait engagé et celui qui ne le serait pas », explique Jean-Baptiste Barfety, expert des transformations de l’entreprise.

*Cette étude, réalisée par Ipsos pour Pluxee au premier semestre 2025, publiée ce 18 novembre, a été menée dans 10 pays (États-Unis, Europe, Brésil, Inde et Turquie) auprès de 8 700 répondants de tous horizons professionnels. Ces enseignements sont illustrés par 80 témoignages et enrichis de travaux d’experts.

Cette étude souligne que 83 % des répondants tricolores « aiment » ou « adorent » leur travail, tandis que 71 % indiquent qu’il reste un repère « important » et « utile ». Toutefois, il ne constitue plus la seule et l’unique priorité dans leur existence. « Cette étude confirme l’idée que les salariés ne sont pas désengagés. Ils continuent de s’impliquer, mais différemment. Ils s’engagent au travail, mais plus à n’importe quel prix », complète Aurélien Sonet, directeur général de Pluxee.

Trouver le juste équilibre

Engagement raisonné 4

En d’autres termes, ils aspirent à trouver le juste équilibre entre « hyper-engagement » et « démission silencieuse » afin de ne sacrifier aucune sphère de leur vie. « Lorsque nous parlons d’engagement contemporain, il n’est plus possible de considérer les salariés indépendamment de leur vie en dehors du travail, poursuit Aurélien Sonet. Si le travail reste un repère essentiel, surtout face aux incertitudes, les salariés souhaitent avoir une relation plus équilibrée au travail. C’est ce que nous appelons, « l’engagement raisonné » : un engagement ni total, ni détaché ». Cette approche consiste à s’investir au travail tout en posant des limites saines, notamment auprès d’un manager trop exigeant, afin de pouvoir également s’investir dans sa vie personnelle. Ces limites permettent de jongler entre ces différents engagements (personnels, sportifs, sociétaux) sans s’épuiser, ni culpabiliser. Cette approche est particulièrement plébiscitée par les jeunes actifs, mais concerne désormais toutes les générations.

« Aujourd’hui, il n’est plus pertinent de parler d' »équilibre » ou de « conciliation » entre la vie personnelle et professionnelle, car cela sous-entendrait que ces deux sphères sont étanches. Qu’il y aurait une forme de séparation, voire d’opposition entre les deux », ajoute Jean-Baptiste Barfety. Or, « les idées, les préoccupations, les rencontres peuvent se faire partout et dans tous les moments de la vie. Mieux vaut envisager la question de l’engagement et du bien-être de façon globale. En cohérence, pas en opposition. »

Les huit formes d’engagement contemporain

L’engagement contemporain en France dépend donc beaucoup de l’étape de vie dans laquelle se trouvent les salariés interrogés. « Les collaborateurs ne sont pas engagés au travail, puis soudainement désengagés. Leur engagement se transforme. Il évolue au fil du temps, augmente et diminue, part et revient. L’engagement est très cyclique en réalité », commente l’expert des mutations professionnelles.

C’est pourquoi, cette étude met en avant huit formes d’engagement – dont quatre sont dans une approche « raisonnée » du travail (en jaune sur le schéma ci-dessous). Ces différents engagements sont déterminés par deux facteurs principaux : l’importance accordée au travail et à la vie privée (axe vertical sur le schéma), ainsi que l’importance accordée au personnel et au collectif (axe horizontal ci-dessous).

8 formes dengagement professionnel

On retrouve huit formes d’engagement dont les caractéristiques sont les suivantes :

  • Le détaché (17 %) : Fidèle à son nom, il donne la priorité à sa vie personnelle plutôt qu’au travail et se contente des emplois qui offrent le plus de temps de repos. Ce sont généralement des employés de 45 ans et plus, qui sont moins investis dans leur entreprise et plus susceptibles de la quitter. Ils voient le travail principalement comme un moyen de payer les factures.
  • L’idéaliste (17 %) : Les inquiétudes liées à l’avenir empêchent souvent ce type de salarié de dormir. Il est en quête de sens et a un sentiment d’appartenance limité avec son organisation. De par ses aspirations en termes de conditions de travail et de justice sociale, il est rare qu’il reste longtemps dans la même entreprise. Il a besoin de découvrir régulièrement de nouveaux horizons.
  • Le pragmatique (9 %) : La vie familiale et personnelle est plus importante que le travail pour ce profil optimiste. Il apprécie sincèrement son entreprise et le soutien qu’elle offre à des causes importantes, mais ce n’est pas une condition suffisante pour y adhérer pleinement.
  • Le solidaire (4 %) : Ce champion de la bienveillance a confiance en l’avenir et dans la plupart des autres aspects de sa vie. Il place la communauté avant sa carrière. Aussi, il est plus enclin à faire du bénévolat pour des causes sociales, des initiatives pour la jeunesse, les enjeux environnementaux.
  • L’enthousiaste (10 %) : La bonne ambiance règne au sein de ce groupe de personnes enthousiastes pour qui le travail et la vie personnelle sont aussi importants l’un que l’autre. Ses membres voient l’entreprise comme un lieu où il fait bon travailler et restent optimistes quant à l’avenir.
  • Le conformiste (18 %) : Maître dans l’art d’équilibrer le professionnel et le personnel, le membre de ce groupe a une vie associative riche et un train de vie confortable. Il reste loyal tant que son travail comprend des projets intéressants et que son entreprise soutient des causes importantes.
  • Le dévoué (13 %) : Pour ce groupe de salariés, « le travail, c’est la santé ! ». Ils aiment leur travail et prévoient d’y rester le plus longtemps possible. Ils restent cependant très vigilants par rapport à toute menace potentielle contre leur gagne-pain. Les activités associatives ne les intéressent pas.
  • Le multi-engagé (12 %) : L’engagement est un mode de vie pour ce groupe d’individus qui, bien qu’ils privilégient le travail, participent activement à leur communauté. Ils sont généralement âgés de 45 ans ou plus, sont passionnés par la gestion d’équipe et apprécient le soutien de leur entreprise. Un alignement qui stimule leur accomplissement et leur optimisme envers la vie et l’avenir.
Engagement raisonné 2

Moins de reconnaissance, plus de réciprocité

A mesure que l’engagement professionnel des salariés se réinvente, les entreprises doivent évoluer, selon Jean-Baptiste Barfety : « Les entreprises doivent interpréter positivement les nouveaux comportements des collaborateurs, surtout des plus jeunes, car il n’y aura pas de retour en arrière. Les modes de vie et les attentes sont trop différentes aujourd’hui pour instaurer un modèle unique d’organisation. »

Les salariés délaissent également la reconnaissance au profit de la réciprocité avec l’entreprise. « L’engagement doit se faire à double sens : les collaborateurs sont prêts à donner de leur temps et de leur énergie, mais ils attendent de la réciprocité » avec leurs organisations. Cela passe par trois axes majeurs : le développement des compétences, des perspectives d’évolution et de l’autonomie au quotidien ; l’instauration d’un environnement bienveillant (43 %) qui favorise le lien social (42 %) et le bien-être, tout en proposant des mesures flexibles et personnalisées prenant en compte leurs attentes et leurs besoins spécifiques (38 %). Plus de la moitié des répondants puise leur source d’épanouissement dans leur premier cercle d’interactions (leurs collègues proches dans la sphère professionnelle). Enfin, ils attendent de leur organisation des avantages matériels, à commencer par un bon niveau de salaire (53 %).

Engagement raisonné 5

Pour conclure, les entreprises « doivent dépasser les anciens schémas, explorer les nouvelles règles de l’engagement qui redéfinissent le futur du travail. Lorsque les collaborateurs s’épanouissent, les organisations progressent aussi. L’engagement, c’est un état d’esprit, une volonté. Désormais, il est le reflet d’une multitude de parcours de vie, de personnalités, de priorités, de contextes professionnels variés. » L’entreprise devient un lieu où s’entremêlent pléthore d’histoires qui doivent apprendre à cohabiter.