Réflexion d’un côté, action de l’autre. Tel est le modèle encore bien prégnant sur lequel repose la répartition des talents au sein de l’entreprise. Opposant, d’un côté, ceux qui pensent le travail (direction, managers…) à ceux, de l’autre, qui l’exécutent (assistants, techniciens…). Un modèle basé sur le « command and control » hérité du taylorisme et de son management descendant, qui voue un culte au productivisme, et qui dessert, in fine, autant l’entreprise que ses collaborateurs.
C’est ce que pensent avec conviction de plus en plus d’experts du management et des rouages RH. À l’image de Patrick Storbraye, président du cabinet de conseil Flexity, fondateur du site RH info ; Pour lui, la réussite d’une entreprise se mesure davantage à l’autonomie laissée à ses collaborateurs qu’à la course effrénée au productivisme dans laquelle elle s’est lancée il y a un peu plus de trente ans.

« En réalité, l’autonomie au travail est un principe vieux comme le monde. Mais dans les années 1990, on est entré dans le culte du contrôle et de la non prise de risque pour répondre aux normes tayloriennes qui visent à maximiser la rentabilité ».
Résultat, l’autonomie des talents s’est vue bridée au profit de l’accroissement de la productivité. Jusqu’à ce que son absence trop criante ne vienne se manifester sous la forme d’une « post-crise de 2008 », portée à son paroxysme lors des vagues de suicides chez France Telecom entre 2008 et 2009.
Travail prescrit vs marge de manœuvre
La transition vers plus d'autonomie pour les équipes est difficile à mettre en œuvre. Un travail trop prescrit limite la marge de manœuvre des collaborateurs, les piégeant dans des injonctions contradictoires et générant du mal-être. La flexibilité est nécessaire pour éviter les risques psychosociaux et assurer le bon fonctionnement de l'entreprise.
La question centrale du risque
Cultiver l’autonomie dans ses équipes, c’est donc aller à l’encontre d’un héritage taylorien profondément ancré, « même si des entreprises, à l’instar de celles qui s’inscrivent dans le monde coopératif, ne l’ont jamais abandonné ».
Des structures où Patrick Storbraye a pu constater « une performance plus grande dans la durée, une motivation plus importante, reflet d’un réel engagement, et une résilience des équipes plus forte ». Des bénéfices auxquels s’ajoutent souvent des niveaux accrus d’innovation, de meilleurs rendements boursiers et un turnover inférieur de moitié. « Déléguer une zone d’autonomie à quelqu’un est un facteur déterminant pour pouvoir faire son travail autrement. Et cela repose sur un degré de confiance qui permet de contrôler les résultats », détaille encore le conférencier et Professeur Associé au CNAM.
Autrement dit, pas d’autonomie sans confiance. Et c’est souvent là que le bât blesse. Parce qu’en confiant des tâches à ses collaborateurs, le manager s’expose au risque. « Une notion qui est d’ailleurs absente aujourd’hui du discours managérial », souligne celui qui dénonce « une nette augmentation de l’aversion du risque » dans le monde de l’entreprise. « Or, si l’aversion du risque augmente, la tentation du contrôle augmente aussi ». Et comme les managers sont souvent en première ligne pour rendre des comptes, ce sont eux qui endossent toute la responsabilité « et la pression du risque que l’entreprise ne veut plus prendre, préférant la faire peser sur le bas de l’échelle », analyse Patrick Storbraye.
Comment souhaites-tu être managé ?
Pour l’expert en management, « toute entreprise qui souhaite améliorer l’autonomie de ses équipes doit donc se poser cette question du risque » et « ramener l’équilibre entre les intérêts de ses différentes parties prenantes ». Soit, ne plus répondre uniquement à la politique de rentabilité largement soutenue par le système de gouvernance. Les managers pourront alors s’atteler plus librement à cultiver l’autonomie dans leurs équipes. Une démarche difficile, puisque s’inscrivant encore à contre-courant, où leur posture est pourtant essentielle en dépit de l’absence de mode d’emploi opérationnel.