Emploi cadre : la dynamique positive se poursuit, les difficultés de recrutement aussi
Article Liaisons Sociales du 10/2/2023
- Si les intentions d’embauches de cadres progressent toujours, les difficultés de recrutement s’enracinent, observe l’Apec dans plusieurs études publiées le 9 février. Les cols blancs voient de plus en plus la mobilité externe comme une opportunité pour améliorer leur rémunération.
Crise énergétique, inflation, guerre en Ukraine, croissance au ralenti, sans compter les incertitudes liées au projet de réforme des retraites… Un contexte peu favorable qui n’entrave pourtant pas la dynamique des recrutements de cadres. « Elle est même au plus haut depuis un an », observe l’Association pour l’emploi des cadres (Apec) qui a dévoilé, jeudi 9 février, plusieurs études sur le recrutement des cols blancs, menées en décembre auprès de 2 000 cadres et 1 000 entreprises, avec un complément de données issues du site apec.fr.
Pour le 1er trimestre 2023, les intentions de recrutement de cadres progressent à nouveau (14 % ; + 2 pts). Elles « n’ont jamais été si élevées dans les PME depuis le début de la mesure il y a deux ans (22 % ; + 3 pts par rapport à septembre 2022) et restent bien orientées dans les TPE (7 % ; + 1 pt) et les grandes structures (64 % ; + 2 pts) », indique l’Apec dans l’une de ses études. « Nous avons été surpris par ce résultat. Nous nous attendions davantage à un fléchissement des intentions de recrutement compte tenu notamment des prévisions économiques sur les deux premiers trimestres de 2023 », a témoigné Gilles Gateau, directeur général de l’Apec, lors d’une conférence de presse.
Autre indicateur : la part des entreprises qui prévoient de publier au moins une offre d’emploi cadre dans les trois prochains mois augmente également (12 % ; + 2 pts par rapport à décembre 2021), notamment dans les PME (19 % ; + 5 pts). Selon les secteurs d’activité, les tendances relatives à la volumétrie des offres d’emploi différent. Ainsi, dans l’industrie, les opportunités ont nettement progressé dans l’automobile et l’aéronautique (+ 42 %) tandis qu’elles ont reculé dans l’agroalimentaire (- 9 %). Dans les services à forte valeur ajoutée, le volume est resté stable à un très haut niveau (62 800 offres ; – 1 %) et s’est étoffé, à nouveau, dans l’ingénierie-R&D (+ 5 %). Plus globalement, le volume d’offres d’emploi s’est accru dans l’industrie (+ 10 % entre le 4e trimestre 2021 et le 4e trimestre 2022) et dans les services à faible valeur ajoutée (+ 7 %). « Selon nous, une des explications à la bonne tenue de l’emploi cadre en ce début d’année réside dans le risque pour une entreprise de différer un recrutement ou de faire une pause dans les embauches. Compte tenu des délais – 11 semaines en moyenne actuellement pour recruter un cadre – et des tensions sur le marché, le chef d’entreprise ou le DRH a tout intérêt à maintenir ses projets de recrutement », explique Gilles Gateau.
Difficultés de recrutement
Ce qui ne change pas en revanche, ce sont les difficultés de recrutement qui restent très prégnantes. En 2022, 26 % des sociétés souhaitant recruter un cadre ont jeté l’éponge faute de candidats. Une décision qui, pour 38 % d’entre elles, a eu des conséquences négatives sur le chiffre d’affaires. Et les entreprises qui entendent embaucher au 1er trimestre anticipent des recrutements difficiles (79 % ; – 5 pts), voire très difficiles (32 % ; – 6 pts). « Même si elles ont légèrement fléchi par rapport au pic de 2022, les tensions devraient se maintenir à un niveau élevé », remarque l’étude. Un des enjeux sera aussi de retenir leurs cols blancs, préoccupés par l’évolution du pouvoir d’achat (64 %). Une inquiétude qui taraude en premier lieu les cadres seniors (72 %). « Pour les cadres du privé, la baisse de pouvoir d’achat représentait déjà 3 % du salaire mensuel brut de base sur un an au 3e trimestre 2022 », illustre l’Apec.
Envies de mobilitéPour les sondés, le changement paraît être la meilleure des solutions pour doper leur rémunération. 44 % d’entre eux pensent ainsi qu’ils gagneraient au moins 5 % de plus s’ils changeaient de structure pour un poste équivalent (+ 15 pts par rapport à septembre 2022). Résultat : au cours des trois derniers mois, 40 % ont envisagé de quitter leur emploi (+ 2 pts par rapport à septembre 2022). Les cadres de moins de 35 ans sont une majorité à caresser cette idée (55 % ; + 10 pts). Plus généralement, 41 % des cadres sont inquiets pour leurs perspectives d’évolution professionnelle (+ 3 pts par rapport à septembre). Cette proportion est plus élevée chez les seniors (46 % ; + 3 pts) et progresse davantage chez les moins de 35 ans (36 % ; + 5 pts).
Face à ces inquiétudes et à ces envies ailleurs, les entreprises ont des marges de manœuvre. En décembre 2022, 37 % de celles employant des cadres avaient versé une prime de partage de la valeur à leurs salariés, un taux qui croît avec la taille d’entreprise (33 % des TPE, 45 % des PME et 51 % des grandes structures). D’autres ont augmenté les salaires ou proposent de meilleures conditions de travail, incluant le télétravail. 53 % des cadres se montrent réticents à l’idée de rejoindre une entreprise qui ne propose pas ce mode d’organisation. « Dans les petites structures, la fidélisation pourrait devenir un enjeu majeur. C’est d’ailleurs dans les PME que les intentions de mobilité externe sont les plus élevées (17 % contre 15 % en moyenne) », constatent les auteurs de l’étude. « Et ces intentions s’accompagnent d’ores et déjà d’actions concrètes, préviennent-ils. En effet, au cours des trois derniers mois, 75 % des prétendants à la mobilité externe ont répondu à des offres d’emploi, envoyé des candidatures spontanées ou déposé leur CV sur une CVthèque. »
Enjeux de l’emploi cadre en 2023L’Observatoire du marché de l’emploi cadre de l’Apec, le service de l’association qui analyse les grandes tendances en matière de recrutements, salaires et mobilités professionnelles, a identifié cinq grands enjeux pour 2023. Le premier est sans surprise le défi qui consistera pour les entreprises à surmonter les difficultés de recrutement. Celles-ci sont exacerbées dans certains secteurs d’activité qui pâtissent d’un déficit d’attractivité, dans différentes fonctions en tension et dans plusieurs territoires peu attractifs ou mal pourvus en débutants. « Changer le regard et les pratiques sur les seniors constitue le 2eme enjeu, note Gilles Gateau, le directeur général de l’Apec. Dans un contexte de réforme des retraites et d’allongement de la vie au travail, le maintien en emploi des cadres seniors, et leur recrutement lorsqu’ils sont demandeurs d’emploi, sera au coeur des enjeux RH », insiste-t-il. L’association rappelle qu’à fin juin 2022 102 000 cadres seniors pointaient à Pôle emploi. Le 3eme enjeu repéré par l’Observatoire de l’Apec consistera pour les entreprises à adapter les politiques de rémunération au contexte d’inflation afin de répondre aux attentes de pouvoir d’achat. Autre défi à relever : reconstruire une dynamique collective de travail dans un contexte de généralisation du télétravail. Enfin, il s’agira pour les DRH de répondre à des aspirations nouvelles, en particulier pour recruter et fidéliser des cadres, dans un marché de l’emploi où le rapport de force est à l’avantage des candidats. « Les cadres sont attachés au salariat et investis dans leur travail mais s’affirment de plus en plus soucieux de leur équilibre de vie », note l’Apec.
J-F. Rio
(1) Selon l’Apec les métiers « poids lourds » sont ceux dont le volume d’offres en 2022 est supérieur ou égal à 6 000.